Aperçus sur l'initiation
Les trois responsables de la Loge de recherches Villard de Honnecourt ont présenté, le mardi 11 octobre passé, le thème de l’année : l’initiation. Le RF Thierry Zarcone, le RF Marc-Henri Cassagne, le TVF Yves Hiver-Messeca ont, à cette occasion, largement élargi l’horizon des nombreux FF présents par un feu d’artifice d’érudition anthropologique et historique. Il faut reconnaître que l’initiation est bien un « fait social total », universel dans le temps et dans l’espace.
Il fut rappelé que le grand savant et folkloriste Arnold Van Gennep avait tenté en son temps de formaliser le déroulement de chaque initiation en trois étapes : rites de séparation, de marge, d’agrégation. On reviendra sur ce séquençage à propos de nos rites. Mais il avait également proposé un cadre ternaire pour l’ensemble du phénomène initiatique, à l’échelle de la vie humaine tout entière, de l’accouchement aux funérailles, en parlant de rites sociaux, fraternels, et chamaniques. A la puberté, les sociétés transforment les jeunes en adultes par une série de cérémonies. En principe, tout le monde doit subir ce changement de statut. Nul ne peut rester jeune éternellement.
Une fois adulte, les hommes et les femmes se regroupent en fraternités électives spécialisées qui supposent candidature er réception particulière. Enfin, pour acquérir une maîtrise supérieure, on s’expose à des épreuves strictement individuelles. Ce n’est pas ici le lieu de parler de l’initiation suprême de la maîtrise, mais on comprendra facilement à quel point aigu elle met en scène la solitude dans les épreuves.
Pour illustrer ce processus, on pourrait dire que les cérémonie et rituels universitaires obéissent encore à cet ancien schéma : on commence par le baccalauréat, initiation sociale qui concerne tous les universitaires, on continue par la faculté qui spécialise, et on finit par le doctorat qui isole et singularise l’accès à la maîtrise : le docteur dans sa bibliothèque, comme le chamane dans sa forêt, doit affronter tout seul le monde des esprits et en revenir chargé de pouvoirs autant que de savoirs.
L’Université, comme toutes les corporations, obéit à ce schéma ternaire archaïque : apprenti, compagnon, maître. Le compagnon fait l’apprenti, le maître fait le compagnon. « La corporation des maîtres et des élèves » comme on disait au Moyen Age entre ainsi dans l’ordre des métiers. Le nom même d’« université » veut dire corporation. Et après tout, l’Église catholique elle-même est structurée ainsi : l’évêque fait le prêtre, le pape fait l’évêque.
Les corporations dont nous « sortons » (on ne dira pas comment) étaient structurées de cette façon et le caractère initiatique du métier lui-même, avec ses secrets, favorisaient le détournement spéculatif. En effet, les bâtisseurs n’avaient pas de maîtres, travaillant tous au Moyen Age sous la règle des commanditaires, évêques, abbés, chanoines, clercs, architectes universitaires, etc. Mais on voit émerger, comme chez les peintres, une « culture d’atelier » autonome au cours du XVe siècle, au fur et à mesure que la construction sacrée fait place à la construction civile. La fusion parfaite de la spéculation dans le métier a été d’autant plus facile que le métier avait déjà une structure initiatique.
Je voudrais revenir maintenant sur l’ésotérisme propre à notre initiation, bien différente des cérémonies universitaires. Pour René Guénon, qui a repris ses nombreux articles des années 20 et 30 dans sa revue Études traditionnelles dans le recueil intitulé Aperçus sur l’initiation (Dervy 1946, 2021), l’initiation suppose à la fois une disponibilité personnelle et le rattachement à une tradition solide, avant le travail personnel indispensable sur lequel je reviendrai. La disponibilité personnelle, « l’initiabilité » est faite de facteurs psychologiques complexes : ouverture, mais aussi prudence, besoin des autres mais aussi capacités critiques, imagination mais aussi capacités d’approfondissement et de recherches. Ces qualités précieuses, nous tâchons de les discerner au cours des rencontres et visites que nous organisons.
La tradition solide suppose une chaîne qui remonte dans le temps, mais surtout une modestie foncière des initiés, qui ne doivent pas prétendre pas tout connaître et tout comprendre. L’ésotérisme, c’est d’abord ce qui ne vient pas de soi-même, et suppose un décentrement radical de l’esprit. Je ne suis pas la source des symboles, qui sont sacrés et donc toujours au-delà de ma compréhension.
L’initié doit travailler à comprendre, bien sûr, mais la nature du symbole l’oppose au discours : le discours passe, le symbole reste. Le discours est fait de signes arbitraires qui se plient à ma volonté quand je parle, tandis que le symbole continue de luire dans sa nécessité propre tandis que je me tais. Et l’imagination, après le plus beau des discours, reprend toujours sa marche, pour aller plus loin.
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