Tradition et transmission
Le mot de « transmission » est rassurant au premier abord. Plus que le mot de « tradition », il implique quelque chose d’intentionnel et de parfaitement abouti. Le message qui parvient à son destinataire est exactement celui que lui a envoyé l’émetteur. Mais c’est que la transmission se réfère aux machines, et seulement à elles. L’émetteur peut dire n’importe quoi et le destinataire ne rien comprendre, la transmission, si les machines le veulent bien, sera parfaite. Or les traditions maçonniques sont contradictoires, obscures, complexes, déformées par le temps et la négligence. Le travail du destinataire est donc immense. Il doit se faire, dès l’initiation, une idée d’ensemble de la Tradition, riche et cohérente. Le vocable de « transmission » est donc trompeur. Notre tradition, comme disait Hannah Arendt reprenant René Char est « un héritage précédé d’aucun testament ».
La Tradition n’est jamais donnée, malgré tous les efforts de nos FF, mais toujours recherchée. La Tradition est d’abord un don, celui de nos prédécesseurs et de nos « ancêtres ». Si transmettre, c’est faire parvenir au destinataire, par une machine en général, un message exactement semblable à celui qu’on a reçu, ni Dieu, ni Adam, ni le pasteur Anderson, dont nous parlerons beaucoup en 2023, ne nous ont envoyé une « transmission » complète : nous n’avons reçu que des statuts et une histoire de la maçonnerie, passablement loufoque à nos yeux, parce que fondée sur la représentation précritique qu’on se faisait du temps à l’Âge classique, alors que le mythe biblique était encore un fondement généralement accepté de la représentation du passé.
Je voudrais illustrer le problème de la Tradition par trois exemples. Tout d’abord, la cérémonie d’installation elle-même. Non seulement elle n’est pas pratiquée dans toute la FM, mais certaines obédiences la bannissent expressément, alors même qu’elles sont fondées sur un rite dit « ancien », et que l’un des griefs des « Ancients » contre les « Moderns » en 1751, le plus grand schisme de toute l’histoire de la FM, était la suppression inacceptable de cette cérémonie d’installation dite ésotérique. A ce jour, malgré la constatation du caractère parfaitement maçonnique et parfaitement logique de cette cérémonie, son principe continue de diviser les FF, les LL, les obédiences même. On peut se demander comment un F :. pourrait assister à une installation ésotérique s’il ne connaît pas les signes de reconnaissance de la cérémonie.
Mon deuxième exemple porte sur l’épée dite « flammée », utilisée par le VMEC pour ouvrir la L :. dans le REAA. Or dans ma Loge-Mère « là-bas » (Out there… dit Kipling), l’épée flammée était celle du Tuileur. Comme c’est l’épée de l’ange du paradis, dans l’iconographie du Moyen Age et de la Renaissance, on peut se demander si un message n’est pas associé à cet objet symbolique : le paradis est derrière le VMEC dans le REAA, ou dans la L :. elle-même dans le rite Schröder de ma Loge-Mère (Liberté, GLSA no 21). Quand je suis devenu Tuileur, j’ai recherché cette fameuse épée, qui avait disparu de notre temple (volée ou empruntée par un autre atelier). J’en ai commandé une et je m’en suis servi en expliquant aux FF cet étrange usage. Puis j’ai quitté Lausanne, et quelques années plus tard, j’ai retrouvé mon épée dans les mains du VMEC, par assimilation au REAA.
Enfin, mon troisième exemple touche à un outil maçonnique majeur : le fil à plomb. En référence au prophète Amos, nous citons la parole de Dieu : « J’ai mis un fil à plomb sur mon peuple » (Amos 7 :7). En fait, de nombreux traducteurs de la Bible, à commencer par les meilleurs, Saint Jérôme et Louis Segond, traduisent le mot par « truelle » ou « niveau », qui sont aussi des outils d’architecture à forte charge symbolique, mais n’ont pas d’usage dans ce contexte. En fait, le mot hébreu est un apax, venu peut-être d’un mot assyrien signifiant « étain ». Les traducteurs contemporains, forts de cette hypothèse, parlent de suspendre un « étain » au-dessus du peuple. Notre tradition maçonnique, elle, parle de « fil à plomb », ce qui donne un sens vertical autant que fatal à l’outil mentionné par Amos. Notre tradition vient ici au secours des traducteurs embarrassés.
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