Esotérisme, occultisme, hermétisme






Les trois termes semblent synonymes. Il n’en est rien, des distinctions s’imposent.

L’ésotérisme est d’abord un système de diffusion de gestes, de symboles et de mythes qui se caractérise, dans toutes les sociétés et à toutes les époques, du papou au franc-maçon du 21e siècle, par son aspect réservé : il n’est pas à la disposition de tous. On ne l’obtient que par la cooptation, et surtout l’initiation. Il est sous condition de secret. Le mot remonte aux écoles grecques archaïques de philosophie, mais accompagne en général toutes les religions d’une doctrine "secrète" ou d’une spiritualité particulière, qui doit d’abord se mériter. L'ésotérisme, par définition, c'est ce qu'on ne peut pas trouver par soi-même. On a besoin des autres, de ses FF, mais surtout de la Tradition, d'un savoir qui se présente comme immémorial, sans origine, issu du divin. Une tradition peut toujours être étudiée historiquement, mais c'est toujours de l'extérieur. Il y d'excellents historiens de la FM qui n'ont jamais été initiés. Il y a même des historiens maçonniques dont on se demande s'ils sont des "frères"... Mais le moindre initié, même s'il en sait beaucoup moins, même réduit au silence, et dans l'ésotérisme par son initiation même.

La question de l'origine de la Tradition est un abîme pour la raison : si le mythe répond nécessairement par l'invocation de la divinité, la raison ne peut pas faire de même, et ne peut se contraindre au respect du sacré. Or la raison, produit de la "différenciation" de la conscience selon Jung, et donc du processus même de l'individuation, se heurte au mythe et, si elle vient à bout assez facilement du Père Noël et la Petite souris, met forcément en crise la Foi religieuse, qu'elle oblige à des accommodements plus ou moins lourds avec la raison. A l'extrême, la raison élimine la Foi, ce qui peut provoquer une colère plus ou moins ouverte, à la fois contre le fait d'avoir été "trompé", et peut-être la nostalgie secrète de ne plus pouvoir l'être. Sans être aussi conflictuel, la confrontation de la raison avec la Tradition n'en est pas moins conséquente. 

Tout le monde sait que la FM a un état-civil, même douteux, à Londres en 1717. Mais peu de FF se résignent volontiers à ne pas rechercher des prédécesseurs en amont, chez les bâtisseurs de cathédrales, les templiers, les prêtres égyptiens, etc. Le récit naïf du pasteur Anderson, dans les Constitutions, qui fait remonter la maçonnerie aux enseignements reçus par Adam dans le jardin d'Eden, n'est généralement pas pris au premier degré. Mais encore une fois, le mythe recouvre de façon opportune l'énigme de l'origine. La Tradition résiste à la raison, parce qu'aucun FF ne pense suivre simplement, dans sa pratique, la philosophie du pasteur Désaguliers. En même la temps, la condition immémoriale de la Tradition offusque forcément  la raison.

L’occultisme, au contraire, n'a rien d'ésotérique : avant d’être une doctrine particulière, le mot désigne d’abord un certain statut de refoulement, pour des doctrines ou des pratiques que la raison ou la religion établie refusent explicitement. Du sorcier à l’Illuminé, les occultistes font l’objet d’une réprobation dans l’ordre du discours, et de l’imaginaire social. Dans ce sens, tout ce qui est ésotérique n’est pas forcément occulte, puisque les « secrets » maçonniques sont loin d’être tous contraires à la morale et au bon goût. Inversement, tout ce qui est occulte n’est pas forcément ésotérique, puisque la sorcellerie par exemple ne fait pas l’objet d’une institutionnalisation formelle, sauf dans quelques fictions littéraires, de "romans noirs".

L’hermétisme, enfin, n’a pas toujours été occulte : dans l’Antiquité hellénistique, la science grecque s’ouvre aux sagesses et aux religions du Proche-Orient, et le produit de cette synthèse éclectique agrège, sous le signe d’Hermès Trismégiste, l’astrologie chaldéenne, l’alchimie égyptienne et la théurgie hébraïque, sans parler du chamanisme « scythe » (sibérien). Ce sont les grands monothéismes d’abord et la science moderne ensuite qui ont rendu occulte l’héritage de l’hermétisme. S’il est vrai que les quatre principes hermétiques identifiés par Antoine Faivre dans la philosophie de la nature des Illuminés (correspondances, sympathies, imagination, transmutation, sublimation, évocation) sont « concordants » aujourd’hui avec presque toutes les "philosophies naturelles" anciennes et exotiques, c’est que la raison moderne, telle que définie par les règles de la Méthode, les a également bannies et persécutées comme "fausses sciences".

Ainsi l’hermétisme reste bien, mais contraint et forcé, contre son gré, le cœur de l’occultisme occidental aujourd’hui. Le New Age a fait le projet de le désocculter, tandis que l'ésotérisme maçonnique, dans une certaine mesure, préserve son occultation. Et pourtant l'hermétisme est en librairie, sur le réseau, omniprésent pour qui veut s'enfoncer dans la forêt des références et des études. Découvrir l'hermétisme aujourd'hui ne demande aucune initiation : même s'il reste bon de se faire guider dans les premiers pas dans l'astrologie, qu'il est indispensable de l'être dans l'alchimie, et dangereux d'être seul dans la théurgie et la démonologie, il n'en reste pas moins qu'aucune initiation n'est requise, en tous cas pour acheter des livres et les ouvrir.

L'hermétisme fait partie de notre culture, à titre de contre-culture anti-scientifique. Mais là encore, la question est plus complexe : Jung prétendait ne jamais être sorti des limites de la "raison pure" (Kant), et la science ne cesse de s'étendre sans sacrifier ses procédures propres. Mais il est très douteux, épistémologiquement parlant, que la science moderne puisse un jour intégrer, fût-ce à la limite, l'astrologie, l'alchimie et la théurgie.

Les FF sont directement confrontés, par le jeu de leur symbolisme, à l'hermétisme dont ils découvrent la persistance sinon scientifique, du moins symbolique. Mais il ne leur sera jamais demandé, au contraire, de s'enfoncer dans l'occultisme, démarche personnelle et rarement collective d'ailleurs. C'est dans l'énigme de la Tradition partagée, donc dans l'ésotérisme, que la FM se retrouve chez elle. Le travail maçonnique consiste à laisser ce symbolisme imprégner la pensée, la vie et l'action de l'initié, afin d'en faire un homme meilleur. Il ne lui sera jamais demander d'accorder la moindre Foi à l'hermétisme, pas plus qu'à la religion. Si nos anciens devoirs demandent aux FF de "croire en Dieu", ils ne sont accompagnés d'aucune théologie. En Loge, personne ne viendra leur dire ce qu'est Dieu.

Ainsi, presque toutes les religions peuvent se retrouver dans le rituel, mais aucune ne peut venir l'interpréter aux dépends des autres. Né dans le pays le plus intolérant et divisé de l'Europe, l'Angleterre, la FM a rassemblé les hommes de bonne volonté, même si l'origine de la Tradition reste axiomatiquement un grand mystère pour la raison. La force de l'initiation est de permettre, par sa dramaturgie, de suspendre pour un moment la virulence de la raison, mais c'est pour la stimuler ensuite. Il n'est pas bon signe, dans la FM, que personne ne se pose aucune question. La progression des FF est d'abord liée au "réveil" de la raison, libérée de son très provisoire "bandeau".

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